« Si nous sommes là, c’est parce que nous y croyons encore. »
Une rencontre du troisième type.
Présent à Blois pour les Rendez-vous de l’Histoire, le ministre de l’Education nationale accompagné de la Rectrice et du maire de Blois vice-président du Conseil régional, a rendu visite au lycée Dessaignes, vendredi 11 octobre. Après un échange avec une classe et la collègue qui ont conçu un projet de développement durable, il a accepté un échange avec les professeurs.
Quelle action à cette occasion, quand on append cette venue la veille au matin ? Sur proposition d’une jeune collègue la salle des professeurs avait été décorée d’affiches revendicatives. Nous avions choisi d’être présents pour présenter au ministre la situation réelle des professeurs et des élèves, en cette rentrée de mise en œuvre de la réforme du lycée.
Plus d’une vingtaine de collègues étaient présents, en ce vendredi après-midi. Exercice courageux et pas si simple qu’il n’y paraît face à un ministre qui a réponse à tout, qui impose sa parole et laisse peu de place à la discussion. Plusieurs collègues ont pris la parole spontanément, disant tout simplement, les problèmes rencontrés au quotidien avec les élèves.
On peut résumer l’échange. D’un côté le ministre affirme et répète qu’il faut voir où on veut aller : on veut hausser le niveau en lycée. De l’autre, les collègues qui parlent expriment leurs difficultés majeures à mettre en œuvre les nouveaux programmes, bien trop difficiles par rapport au niveau global des élèves, dans des classes ayant une hétérogénéité maximale. « Question du ministre : Que pensez-vous des programmes de physique-chimie ? Réponse : Moi je les trouve très bien, mais pas les élèves ! Je laisse des élèves en chemin. Question : Combien d’élèves par classe estimez-vous en difficulté ? Réponse : La moitié. » Un blanc. Une collègue de maths explique que cette situation engendre une réelle souffrance chez les élèves... et chez les professeurs. A cela s’ajoute l’impossibilité du suivi de ces élèves en difficulté, du fait de la disparition du groupe-classe, certaines « classes » de première ayant une trentaine de professeurs... Les professeurs affirment vouloir faire réussir l’ensemble des élèves, le ministre interpelé l’affirme lui aussi. Reste que les façons d’y arriver ne semblent pas être les mêmes. D’un côté, le tri des élèves par l’augmentation du niveau, de l’autre, la réussite de tous les jeunes dans le lycée de service public — dont on a dit, en passant, qu’on y était attachés.
Hausser le niveau du lycée, certes, mais sans laisser les élèves sur le bord du chemin. D’ailleurs que fera-t-on de ceux qui y resteront, sur le bord du chemin ? Pas de réponse. On lui parle des élèves du technologique abandonnés par une réforme qui a rendu la situation encore plus difficile au vu des nouveaux programmes. Il récupère la parole en expliquant qu’il a été fait le choix de ne pas réformer le technologique puisque cela avait été fait il y a quelques années ; mais qu’il était preneur de toutes les idées : fallait-il modifier les filières... ? Nous, nous sommes plutôt sur une réflexion sur les difficultés réelles rencontrées, sur les programmes, les pratiques pédagogiques, l’abaissement du nombre d’élèves (pas plus de 20) voire la présence de deux professeurs en co-enseignement.
Dans leurs paroles, des collègues montrent que les moyens sont insuffisants : moins de dédoublements, disparition de l’AP en 1re - ce que semble découvrir le ministre – puisque, entre autres, notre lycée a choisi de mettre quelques moyens supplémentaires dans les STMG (ouverture d’une classe de première sans moyens supplémentaires). Mais le ministre considère que l’entrée par les moyens n’est pas la bonne ; ce n’est d’ailleurs pas cette entrée qui a été prise dans la discussion par les collègues — cependant, la question est récurrente quand il s’agit de faire réussir tous les élèves. Une légère houle secoue les collègues très attentifs lorsque le ministre rappelle qu’en moyenne, on a 11 élèves par professeur... — les plus anciens, qui ont connu d’autres ministres se rappellent, alors, Allègre, les mêmes chiffres et le « mammouth » qu’il fallait « dégraisser ».
Il n’apprécie pas non plus qu’on lui fasse remarquer que nous sommes sur le terrain, que notre parole porte notre expérience quotidienne : il revendique la même position, ce qui ne convainc personne.
Enfin quand on lui explique que les professeurs sont épuisés, ont un niveau de fatigue cette année équivalent à celui de la veille des vacances de Noël des années « normales », il entend qu’on manque de dynamisme et d’enthousiasme, alors qu’ailleurs il a rencontré des élèves et des professeurs ayant beaucoup plus d’entrain et de motivation. Réponse immédiate : « Si nous sommes là, c’est parce que nous y croyons encore. »
Le tout en environ une demi-heure. On se dit que ce n’est pas si mal, même si d’autres sujets qui fâchent n’ont pu être abordés comme la réforme du bac et la question plus qu’épineuse des E3C (épreuves communes en cours de formation sortes de « partiels ».). Il n’a pas eu le temps de partager la collation préparée par les agents. Les professeurs, eux, l’ont appréciée et en ont remercié les agents. Un moment de chaleur collective après la tension.
Ce fut un moment tendu pour les professeurs peu habitués à ce genre de rencontre. La parole a été polie mais nette, affirmée et franche, sans hésitation pour décrire le réel. Rencontre trop courte pour que tout le monde puisse dire son expérience. Mais ce fut un moment de réelle cohésion entre collègues. Et, si cela était encore nécessaire, après une année de luttes intenses contre les réformes imposées au lycée, de prise de mesure de l’écart entre le réel vécu et le discours. Nous continuerons à défendre ce que nous considérons être un travail de qualité, dans un lycée ouvert à la réussite la plus exigeante de tous les élèves, dans un service public indispensable à la cohésion de notre société.
Il va falloir être vigilants : par nos conseils, par nos appréciations, par nos décisions en conseils de classe, on sera conduits, au vu des difficultés rencontrées pour faire passer les nouveaux programmes et du fait du manque de moyens, à trier, à notre corps défendant, donc de façon quasi inconsciente, les élèves qui passeront de 3e en 2de et surtout de 2de en 1re. C’est tout le système éducatif pour la démocratisation duquel on s’est battu depuis des décennies qui est en danger. Nous l’avons touché du doigt, concrètement, vendredi, en présence du ministre.
Discutons collectivement de ces enjeux, affirmons nos choix pour un service public d’éducation de qualité pour tous.
Compte-rendu de la section SNES-FSU du lycée Dessaignes