LES MOTS ONT LA PAROLE
Expert :
Qui sont, aujourd’hui, les experts de notre métier ?
Les IPR ? Les personnels de direction ? Les professeur-e-s d’université ? Les journalistes ? Les formateur-trice-s de l’ESPE ? Les experts auto-proclamés ? Les experts convoqués par le ministère de l’Education Nationale pour réformer l’école dont la parole est présentée comme incontestable ?
Revenons à l’étymologie du mot présentée dans le Robert Historique de la Langue Française : depuis le début du XIVe siècle le terme « expert-e » s’applique « à une personne qui a acquis par l’expérience une grande habilité ». Il s’agit donc d’un individu inscrit et nourri par l’expérience, qui maîtrise la connaissance d’un sujet, d’un domaine par la pratique.
A la lumière de cette définition nous pouvons donc affirmer que nous, professeur-e-s, sommes expert-e-s de l’enseignement de notre discipline scolaire.
PAROLE DE METIER
Journée d’étude à Paris, le 12 novembre 2015 organisée par le SNES-FSU :
« Faire son métier, contre vents et marées. Peut-on reprendre la main sur la qualité du travail ? »
Françoise Lantheaume, sciences de l’Education, Université Lyon II
Yves Clot, chaire de psychologie du travail du CNAM
Patrick Mayen, didactique professionnelle, université de Bourgogne
Jean-Yves Bonnefond, psychologue du travail, CNAM
Nous donnons ici quelques éléments qui ont particulièrement retenu notre attention.
Un constat général : la perte du sens du travail pour ceux qui le font, sa complexité grandissante, sa non-visibilité. Des métiers déstabilisés
P. Mayen : La complexité grandissante renforce un sentiment d’impuissance et de manque de repères des professionnels et appauvrit le métier.
– La non-visibilité du métier : une partie de son environnement est opaque, difficilement accessible et compréhensible. Manque de repères.
– Il est difficile de s’autoriser à faire les choses car on ne sait plus ce qu’on sait faire ou pas faire. Manque de « feed-back ».
– Enorme besoin de connaissances. Le manque de connaissances et de ressources renforce les problèmes rencontrés.
F. Lantheaume : Les enseignants s’auto-prescrivent beaucoup de choses, ce qui a à voir davantage avec un métier idéal qu’avec la réalité du métier. Revenir au prescrit, c’est s’autoriser à se refuser de faire certaines choses.
Des métiers qui éprouvent les professionnels qui les exercent.
Françoise Lantheaume : L’épreuve dans le travail n’est pas nécessairement négative : c’est une occasion de progresser collectivement si on prend la peine d’avoir un espace de réflexion collectif pour faire face à ces épreuves. Les épreuves qui ne devraient pas exister sont celles qui empêchent de donner du sens à l’activité.
Les professionnels sont mis à l’épreuve dans leur travail. Ils ont le sentiment que le métier leur échappe, que leur travail est inutile. Ils en font souvent un problème personnel. Les épreuves sont source soit de stimulation, soit de perturbation, donc de plainte.
Yves Clot : Les conflits de critères montent et vont continuer à monter : entre ce qui est efficace ou pas ; ce qui est juste (justesse et justice) ou pas ; ce qui est bien ou mal (problème de conscience). Il est normal qu’il y ait conflit de critères, mais cela devient un drame, quand il y a déni des conflits de critères.
Comment surmonter les épreuves du métier
Un point commun à toutes les interventions : la place du collectif.
Patrick Mayen : Il est donc nécessaire d’avoir un espace collectif pour analyser la situation de travail, son contexte et l’activité, pour redécouvrir son travail, pour retrouver un peu de santé par le fait de voir qu’on peut travailler ensemble.
Françoise Lantheaume : L’action collective permet de faire sienne l’épreuve, de la mettre à sa main. Le coût du non-débat collectif est colossal : la concurrence, les bonnes pratiques imposées. Il faut se permettre de choisir ses épreuves et de débattre des épreuves imposées. Collectivement, car le travail est social.
Yves Clot. Le collectif existe si et seulement si je peux dire à mon collègue : « c’est ou ce n’est pas du boulot ». C’est la controverse professionnelle. Mais il ne faut pas en rester au collectif fermé sur lui-même : il faut prendre le risque de la coopération conflictuelle avec l’institution. Fonction du syndicalisme : proposer la coopération conflictuelle avec les directions.
On doit juger une organisation sur sa performance dialogique : sa capacité à mener la controverse. Le syndicalisme doit œuvrer pour changer les rapports avec la hiérarchie : se saisir de l’objet de travail, le prendre à la hiérarchie et chercher des solutions dans la discussion.
La question de la qualité du travail
Yves Clot : C’est la clé de la santé au travail.
C’est revendiquer la qualité, l’efficacité et la performance qui est important, mais ensuite, il faut en discuter. C’est la performance piétinée qui est problématique pour la santé. C’est une question politique. La qualité du travail a des effets sur la qualité de la vie et sur la santé.
Un exemple a été donné de la mise en œuvre de la « coopération conflictuelle » avec la direction, à l’usine Renault Flins, des méthodes de réflexion collective sur leur travail menées par les opérateurs eux-mêmes, qui ont conduit à des modifications importantes de l’organisation du travail.
Article : http://www.sante-et-travail.fr/le-travail-prend-la-parole-a-renaul_fr_art_1319_69540.html
Pour conclure nous retiendrons les propos de Françoise Lantheaume d’après qui les progrès sociaux ne sont pas des cadeaux. Il ne faut donc pas attendre que d’autres s’occupent de notre travail.
PAROLES D’AUTEUR
Le travail à Cœur : Pour en finir avec les risques psychosociaux, Yves Clot, Editions La Découverte – 2010
Dans cet ouvrage fondateur, écrit après la vague de suicides chez France Telecom, Yves Clot, titulaire de la chaire de psychologie du travail au Cnam et directeur du Centre de recherche sur le travail et le développement, examine comment l’organisation du travail et l’isolement professionnel, induits par des dérives managériales, ont considérablement perturbé la réalisation des métiers et fait exploser la souffrance sur les lieux de travail.
Mais, tandis que du côté des employeurs ces dysfonctionnements sont renvoyés à des fragilités psychologiques individuelles, Yves Clot démontre que lorsque les individus sont malades au travail, c’est que le travail lui-même est malade. Redonner la main à des collectifs professionnels, pourra « soigner » le travail, les professionnels produisant eux-mêmes des critères de qualité car : « Un métier entretenu ensemble est une sorte de fil à plomb (…) dont (on a) la responsabilité de prendre soin ».
Ainsi, Yves Clot démontre, en s’appuyant sur de nombreux exemples de terrain, que revenir collectivement, par la controverse entre pairs, sur le cœur du travail permet, par la mise en commun et l’exploration des gestes du métier, de le reprendre à cœur.
LE DERNIER MOT N’EST JAMAIS DIT
Toute l’équipe de la gazette vous souhaite de bonnes vacances et vous donne rendez-vous à l’automne.