Avec les années Blanquer, on croyait avoir tout vu... mais non.
La gestion de l’Éducation nationale devient plus calamiteuse que jamais. Pris sans doute d’une inspiration subite, Pap N’Diaye, qui semblait désireux de se démarquer de son prédécesseur dans la façon dont les « ressources humaines » sont « gérées », affaiblit encore davantage les services qu’il dirige en imposant, à la surprise générale et sans aucune concertation, la suppression de l’enseignement de technologie en 6è.
Donnant déjà le sentiment que, comme le président de la République, il parle beaucoup mais agit peu (l’augmentation de 10% - qui n’auraient même pas suffi à compenser les pertes de pouvoir d’achat de ces 20 dernières années - des salaires de tous les personnels serait finalement conditionnée à de « nouvelles missions », selon le projet « Pacte »), le ministre valide ou accepte une décision aussi brutale que scandaleuse : qu’est-ce que cette matière qu’est la technologie représente pour nos dirigeants ? Une variable d’ajustement, visiblement. On a le sentiment de revenir aux funestes années Sarkozy, avec tout le mépris allant avec. Normal, les deux présidents (l’actuel et « l’ex ») ont en commun la même vision de la société et effectuent les mêmes choix politiques, avec un retour du « travailler plus pour gagner plus », alors que nos métiers n’ont jamais été aussi peu attractifs et leur exercice aussi difficile qu’aujourd’hui.
Peut-on encore parler dans ces conditions d’une volonté de construire une culture commune, si le ministère peut se permettre de piocher dans le service d’une discipline pour faire rentrer dans les 26 heures/semaine d’un-e élève de 6è une heure de soutien en français et en mathématiques ? Au-delà du message méprisant adressé à nos collègues, c’est une insulte, finalement, qui est envoyée à toute la profession.
Qui viendra faire, selon les vœux du ministère, cette heure de soutien ? Les professeur-e-s des écoles évidemment ! Sur quel horaire, alors qu’ils-elles sont déjà bien assez largement occupé-e-s dans leur-e école-s ? On n’en sait rien, puisque rien n’a été discuté. Derrière cette situation, il y a la même volonté : expérimenter et déréguler, ici les disciplines, rendant les personnels interchangeables : la SVT, la physique-chimie et la technologie, sous prétexte qu’elles sont voisines, vont pouvoir être fondues en un seul bloc, et qu’importe si un-e professeur-e de technologie n’est pas formé pour enseigner les SVT ou la physique.
Enfin, la volonté d’imposer le dispositif « Devoirs faits » à l’ensemble des élèves de 6è est une mesure inadaptée, décidée de manière autoritaire, et qui revient à dénaturer ce qui doit rester comme une possibilité et non une obligation : pour être efficace, les élèves doivent être en petits groupes. Tou-te-s les élèves n’ont pas besoin de cette heure, qui va devenir plus une garderie qu’une heure utile pour les élèves qui en ont besoin.
Au moment où, comme des millions de salarié-e-s, les enseignant-e-s s’opposent à l’allongement de l’âge de départ en retraite, alors que d’autres solutions existent, comme l’explique Mickaël Zemmour, qui enseigne l’économie à la Sorbonne, le ministère dont ils dépendent leur adresse un nouveau bras d’honneur, montrant une fois de plus que c’est Bercy qui dirige la rue de Grenelle, et non l’intérêt de la profession et des élèves.
En dérégulant, on fait des économies, et c’est bien cela qui importe à nos dirigeants, en fidèles exécutants de la doxa capitaliste néo- libérale qui vise à toujours considérer la dépense publique comme un coût, une « charge » (mot qui a remplacé le terme « cotisation »). La définition non concertée d’une « nouvelle 6è » témoigne d’une volonté de réformer sans prendre en compte la volonté des personnels, à travers leurs représentant-e-s.
Plus généralement, le décalage entre les aspirations de notre société et le fonctionnement des institutions de la Vè République, fondées sur une inféodation du pouvoir législatif à un exécutif pouvant lui imposer sa volonté, se voit particulièrement dans l’actuel mouvement de mobilisation contre la réforme des retraites.
Non, la société française ne veut plus se sacrifier au travail, ni subir des choix politiques en contradiction avec les besoins des élèves. Car les enseignant-e-s sont avant tout motivé-e-s par la dimension humaine de leur métier, avec un fort attachement à leur discipline. C’est en cela que la suppression de la technologie en 6è est vécue de manière particulièrement violente par la profession. Le sentiment largement partagé que cette vision du métier n’est pas assez prise en considération par notre institution produit un effet dévastateur, qui se mesure par une hausse des démissions. Comment être utile socialement et pouvoir agir selon ses convictions face à une administration qui gère les effectifs selon une logique avant tout comptable ? Or la décision de supprimer encore 1 500 postes est considérée comme un mépris institutionnel insupportable. C’est ce même décalage qui apparaît à travers le « Pacte » (accepter des remplacements obligatoires en échange d’une hausse de la rémunération) alors que nous avons déjà le sentiment de travailler bien au-delà de nos missions.
Face à cette pression croissante de l’institution qui veut nous faire travailler plus et plus longtemps, le Snes-Fsu réaffirme son attachement à l’enseignant-e concepteur/conceptrice de son métier, à rebours de la volonté d’E. Macron de nous transformer en techniciens, comme le montre l’appel croissant aux contractuel-le-s et la dévalorisation du statut considéré par nos dirigeants libéraux comme le vestige d’une période révolue.
Au contraire, la mise en concurrence des établissements et la pression mise sur les élèves via Parcoursup, des classes dont les effectifs s’approchent ou dépassent les 30 au collège et de 35 au lycée, où l’explosion du groupe-classe fragilise les élèves et déroute leurs enseignant-e-s : quelques exemples de déréglementation qui traduisent de profondes transformations de nos métiers auxquels le Snes-Fsu affirme son opposition et combat année après année. C’est aussi cela qu’il faut lire à travers l’opposition à la réforme des retraites.
F. Mousset