Autour du stage « Le chef d’établissement est-il utile ? », Luisant, 24 février 2022

mardi 5 avril 2022
par  Julien JAFFRE

Un stage de formation syndicale a eu lieu jeudi 24 février au lycée S. Monfort de Luisant. Il a été animé par H. Latger, professeure au lycée A . Thierry de Blois et militante au Snes-Fsu académique, Paul Devin, ancien IEN, ancien secrétaire national du SNPI (syndicat national des personnels d’inspection de la FSU) et actuel président de l’institut de recherches de la FSU, et Jean Klein, chef d’établissement et secrétaire national adjoint du SNUPDEN (syndicat des chefs d’établissement de la FSU).

1. Le chef d’établissement : un organisateur et non un patron

Le chef d’établissement (CE) est la pièce maîtresse du fonctionnement d’un établissement du 2d degré, et pourtant il ne devrait pas l’être. Il est un représentant de l’État : cette dimension d’autorité est martelée lors de la formation des CE, qui s’organise sur une année à l’IH2EF (Institut des hautes études de l’éducation et de la formation) de Poitiers. Il devrait au contraire rester un organisateur, celui qui impulse, et non un patron. Pourtant, le pouvoir des CE s’est renforcé, car fortement lié au « new public management », qui incite à un lien de subordination inspiré du fonctionnement du secteur privé, et qui repose sur l’idée que les fonctionnaires sont forcément peu efficaces, car trop autonomes et pas motivés par la concurrence et le paiement au mérite, selon leur productivité supposée. De même, s’est imposée l’idée dans les années 1980 que le secteur public doit prouver qu’il est efficace par ses résultats : la culture du chiffre s’impose progressivement, les CE devant respecter un certain cadre : par exemple, le nombre de redoublants. Le DASEN peut également faire remarquer à un CE que ses chiffres d’orientation vers la 2de GT ne cadrent pas avec ce qui est attendu par l’institution. Cette culture entraîne donc un décalage entre la réalité vue par l’institution et celle du terrain. Le concours de CE est à recrutement national, mais celui-ci souffre d’un manque de transparence et reste fortement marqué par le respect de normes hiérarchiques fortes : l’institution attend des CE qu’ils cessent d’être des citoyens libres et responsables en leur imposant une pseudo « obligation de réserve » qui n’est pas légale et qui relève plutôt de la jurisprudence, et qui l’encourage par autocensure à prendre publiquement position sur les décisions éducatives nationales. Ils disposent parfaitement du droit de faire grève.

On relève ces dernières années de nombreux conflits entre enseignants et membres des équipes de direction, aboutissant à de la souffrance psychologique bien visible de cette tour de contrôle qu’est le CHS-CT, et qui révèlent l’affrontement entre plusieurs conceptions du métier : les enseignants tiennent à rester des concepteurs de leur métier, que leur procure leur statut et leur rémunération déconnectée de leur activité réelle, et qui, pour le moment, les met à l’abri des ordres et humeurs de leur CE. Ils restent maîtres de leur choix d’établissement, à travers des mutations nationales et académiques. Pourtant, les choix du ministère vont de plus en plus vers une autonomisation et une déréglementation du pouvoir des CE, qui dans la doxa néo-libérale, doivent devenir des sortes des patrons, pouvant nommer et recruter les enseignants : voilà le rêve des gestionnaires du MEN. Il s’agit tout simplement d’en finir avec le statut, fondé sur une règlementation pour créer un lien de dépendance entre les personnels et le CE, qui deviendrait ainsi un gestionnaire ayant la main sur la carrière et la rémunération des enseignants. Il s’agit de passer du droit au contrat, dont la face émergée est la contractualisation, qui casse le lien entre pouvoir du CE et la règlementation à laquelle il est soumis. Les récentes annonces de Macron de ne plus recruter les enseignants sur concours va tout à fait dans ce sens. Les postes à profil dans l’éducation prioritaire sont une première entorse au principe du concours, comme l’appel massif aux contractuels : il s’agit de détruire, par petites touches, le principe du recrutement sur concours. Le CE serait celui qui s’en chargerait : en se substituant à l’État comme employeur, il deviendrait alors le véritable patron de son établissement.

Est-ce déjà le cas ? En partie oui : le CE, s’il rencontre des résistances dans l’équipe pédagogique, peut essayer de la diviser. Il y arrive le plus souvent, en distribuant bons points et prébendes au moyen des IMP, des emplois du temps (en tenant compte ou pas des souhaits des personnels), de la distribution des HSE. Des relations clientélistes peuvent ainsi se développer, par exemple par la notation, qui nécessite un avis « excellent » pour augmenter les chances d’accéder à la hors-classe. Les textes lui donnent également la maîtrise de l’organisation du temps scolaire : il peut ainsi, en la modifiant, imposer des modifications avec l’accord plus ou moins explicite des personnels. Pour autant, le chef n’est pas bon ou mauvais : au-delà des personnalités de chacun, et dont la diversité plaide pour une limitation de ses pouvoirs, les CE, en se voyant confier de plus en plus de responsabilités, sont mis sous pression. L’Etat attend d’eux d’être des patrons, et donc qu’ils sachent utiliser leur autorité pour empêcher les perturbations du service : il faut des profs qui se tiennent à carreaux. Le chef garde-chiourme ? Que va-t-on penser de lui s’il ne « tient pas » son équipe ? Car le mouvement des chefs est à la main du DASEN et du rectorat, bien qu’il existe officiellement un mouvement, mais ce sont les chefs les mieux considérés par leur hiérarchie qui pourront prétendre à tel ou tel établissement coté (collèges H. Boucher, Saint-Prest) ou non (Brezolles, Curie, Authon…). La lettre de mission qu’il reçoit du DASEN peut lui faire croire qu’il est le roi du monde, ou du moins de son établissement. On lui explique durant sa formation qu’il mène un combat noble contre les forces de régression incarnées par les organisations syndicales. On le voit à travers le soutien indéfectible apporté par l’administration aux chefs, y compris ceux qui dysfonctionnent. C’est aussi cela qui explique les souffrances souvent tues de nombre de personnels. Car grande est la tentation, pour « améliorer » l’ « efficacité » de l’établissement, de se mêler de pédagogie, d’entrer dans le fonctionnement des classes et des disciplines. Et c’est là que le chef outrepasse ses droits, car les textes ne lui donnent, pour le moment, aucun réel pouvoir en terme de pédagogie qui reste du domaine de l’équipe enseignante. Mais l’administration veut des résultats, et le chef va intervenir, parfois à la demande d’enseignants pouvant rencontrer des difficultés avec des classes et/ou des élèves : le chef doit à ce moment devenir un recours, et doit aider l’équipe. Il faut donc un travail coopératif entre le chef et les profs, en laissant au second plan le rapport hiérarchique qui n’est pas pertinent : la priorité doit être de faire fonctionner les classes le mieux possible, et c’est là que le chef doit être un organisateur et non un patron de son établissement. Pourtant, pour des gens carriéristes, utiliser les résultats d’un établissement comme tremplin vers un « meilleur » poste, plus « prestigieux », est un moyen réel de promotion, par exemple en terme de salaire.

Un exemple parmi d’autres : comment accéder au poste de proviseur du lycée S. Monfort de Luisant ? En tirant parti de la progression des résultats obtenus au DNB au collège P. et M. Curie. Il s’agit donc d’une véritable promotion, et peu importe que la gestion dans ce collège de Dreux ait été mise en cause pour sa brutalité et son manque d’écoute des personnels, comme l’ont prouvé de multiples témoignages de collègues. Car il n’existe pas vraiment de mouvement des CE : ils peuvent rester jusqu’à neuf ans dans un établissement, mais peuvent accepter des propositions avant cette échéance. Comme il n’existe pas de barème, l’image d’un CE auprès de sa hiérarchie sera donc fondamental pour lui permettre de davantage choisir sa prochaine affectation. Il est donc conseillé de respecter strictement la réserve qui sied à un CE qui gère sa carrière avec habileté. L’attitude tyrannique de certains CE est donc aussi liée à la manière dont ils sont recrutés, formés et dont leur carrière est gérée par la DSDEN et le rectorat.

2. Quelle démocratie dans les établissements ?

Les principaux et proviseurs ne sont pas les personnels les plus importants et les plus utiles, car l’établissement pourrait tourner sans eux. Lorsqu’ils sont en formation ou en réunion à l’extérieur, les profs continuent de faire cours, les agents d’assurer le fonctionnement matériel, la vie scolaire de surveiller et de faire passer les élèves à la cantine,… Si ces personnels sont absents ou cessent le travail, l’établissement ne fonctionne plus ou pas bien. On l’a vu récemment avec la fermeture de plusieurs collèges pour cause de vies scolaires infectées par le Covid ou cas contact. Si le chef de cuisine ne prépare pas le repas, les élèves demi-pensionnaires ne déjeuneront pas. Il faut rappeler aux chefs qu’ils ne sont pas l’alpha et l’oméga de leur établissement, et qu’ils ont tout intérêt à instaurer une ambiance de travail fondée sur la coopération et le respect des droits des personnels. Les enseignants, en premier lieu, doivent bien rappeler que s’ils ne prennent pas leurs classes, l’établissement ne fonctionne plus. Les enseignants, mais aussi les agents et la vie scolaire, sont les personnels les plus importants, sans qui rien ne se ferait. Que fera un enseignant que l’on n’écoute pas, que l’on méprise, ou que l’on n’aide pas s’il est en difficulté ? Il demandera sa mutation, se découragera ou se mettra en arrêt maladie. Il sera moins disponible pour ses élèves. C’est là que le pouvoir autoritaire du CE devient toxique et contre-productif, car il n’est plus celui qui aide à faire fonctionner l’établissement, mais représente un obstacle au bon fonctionnement de celui-ci.

Pourtant, l’Etat contribue à réduire ces dernières années les espaces de liberté et de démocratie dans les établissements : remise en question de la commission permanente, rôle purement consultatif des conseils d’administration (CA) lors du vote des DHG. En cas de 2è vote négatif, le choix du CE prévaut sur celui de l’équipe si aucun autre n’a été voté. Il n’y a donc pas de véritable démocratie dans l’établissement. Le CA reste néanmoins l’organe principal démocratique dans le 2d degré, car il permet l’expression libre de personnels représentatifs : enseignants, parents, élèves. Le conseil pédagogique, présidé par le CE, permet aussi à celui-ci de faire passer des consignes et d’influencer les choix effectués par les équipes disciplinaires. La remise en question de la parole des enseignants, et de leur expertise en terme de notation apparaît fortement au lycée, avec la mise en place des PLE (Projet local d’évaluation), dont les réunions en septembre-octobre 2021, en liaison avec la réforme du lycée, ont été des moments de tension puisqu’elles ont donné l’occasion aux CE d’intervenir dans l’évaluation, avec le soutien du MEN souhaitant « harmoniser » et introduire de « bonnes pratiques », au mépris de la liberté pédagogique. Les collègues, dans nombre d’établissements, ont résisté à cette intrusion dans les domaines qui les concernent directement en faisant adopter les dispositions les moins contraignantes possibles pour l’évaluation du bac. Enfin, plus généralement, la loi Fonction publique a permis au MEN de réduire la visibilité des mouvements de mutation et des promotions et avancements en ne permettant plus aux organisations syndicales d’accéder aux listes de collègues concerné-e-s, ce qui rend plus difficile la défense des droits des personnels.

Quelle serait la meilleure formule ? Celle d’empêcher le chef de devenir un patron de son établissement, permettant aux personnels d’être co-gestionnaires de l’établissement. Il faut donc des gens équilibrés psychologiquement, capables de dialogue et de bienveillance pour instaurer une ambiance de travail sereine et positive, d’impulser sans imposer, en mettant toujours au centre le dialogue avec les personnels. La conception du projet d’établissement est un exemple privilégié de cette gestion partagée nécessaire : établi en concertation, il permet de définir un projet commun dans lequel chacun peut apporter sa contribution.

3. Lutter contre la « managerisation » des établissements par l’action collective

Les enseignants bénéficient d’une dérogation à l’évaluation dans la fonction publique : nous ne sommes pas évalués par notre N+1 mais par notre inspecteur d’académie. Le chef d’établissement n’est pas notre premier évaluateur, mais joue le rôle de conseiller de l’IA qui nous évalue lors des entretiens de carrière. La note que nous obtenons constitue une évaluation de gestion de carrière, mais ne repose pas sur un système de valorisation individuelle liée aux mérites personnels, mais sur la rémunération d’une fonction qui est d’enseigner et d’éduquer le citoyen pour lui permettre d’exercer son jugement. Il faut dénier au CE la capacité à évaluer, car ce n’est pas sa première fonction, qui est de faire appliquer la loi dans l’établissement. De même, il n’a pas à intervenir dans la pédagogie employée, qui est uniquement la fonction des enseignants, qui doivent le rappeler au CE. Les concepteurs de la « start up nation » qui ont fortement inspiré le programme de Macron pour la campagne de 2017 ne reconnaissent pas aux enseignants des compétences didactiques qui sont attachées à leurs disciplines, mais d’abord comportementales. Ils peuvent donc être interchangeables et n’ont pas à être attachés à un poste qu’ils ont choisi. De fait, le CE doit avoir la main sur le recrutement. Le statut devient ainsi un obstacle à la gestion managériale des établissements.

Le système français se caractérise par une grande centralisation des décisions politiques, héritage du système monarchique de l’Ancien régime et jacobin repris ensuite par Napoléon. C’est aussi le cas dans les établissements, chacun ayant un « chef » : le choix du mot n’est pas neutre, car un « chef », en bon français, c’est bien celui qui commande. L’État le considère comme le seul vrai responsable de ce qui se fait dans l’établissement. Toutes les réunions importantes et les conseils de classe sont présidées par lui, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays où des délégations de pouvoir existent pour d’autres personnels, comme le professeur principal pour le conseil de classe. Il faut donc chercher dans une évolution du système politique et administratif des solutions à cette personnalisation des décisions prises dans les établissements, afin d’échapper à cette centralisation. La carrière du chef, très liée à sa hiérarchie, est une autre composante qui explique qu’il puisse prendre des décisions qui n’aille pas dans le sens de l’intérêt collectif ou le respect des aspirations des enseignants, ou même des élèves.

Face aux abus d’autorité, les collègues doivent retrouver leur capacité à s’indigner, en ne se laissant pas impressionner par les attitudes autoritaires et culpabilisantes. Réagir collectivement, en quittant une réunion, y compris un conseil de classe, si un collègue est pris à partie, doit être une première action, préalable à toutes les autres. Réarmer les collègues, en les encourageant à faire appliquer les textes, est une autre action salutaire face à des CE qui profitent de l’ignorance largement partagée de la réglementation, ainsi que réintroduire le débat en salle des profs. L’action collective reste le dernier et le seul moyen de lutte contre les « chefs tyrans », en se fondant d’abord sur l’application stricte des textes, qui délimitent de manière parfois floue les fonctions du CE. Le rapport de force a donc une place importante car il pourra influer sur la gestion de l’établissement. C’est la seule manière de faire prévaloir la volonté de l’équipe pédagogique sur celle du CE. Cela suppose de s’associer aux collègues et de casser l’individualisation croissante de nos métiers. L’outil syndical est ici précieux pour cela : en se syndiquant, en participant à des heures mensuelles d’information syndicale, en utilisant l’outil de la grève et en s’alliant avec les parents d’élèves, les collègues peuvent casser l’influence nocive d’un personnel de direction. C’est ce qui s’est passé au collège de Bû au printemps 2021 où l’équipe enseignante, avec l’appui du Snes-Fsu 28, a organisé plusieurs mouvements de grève qui ont abouti au déplacement des deux personnels de direction. Cet exemple monte bien que, en étant unis et organisés, les équipes enseignantes sont plus fortes collectivement que le chef d’établissement.

F. Mousset